Le 17 octobre 2024, de nombreuses personnes ont pu rendre hommage aux personnes en situation de précarité, qui quotidiennement se battent pour une vie meilleure pour leur famille et les autres personnes en situation difficile. Les différentes prises de parole ont été renforcées par un geste symbolique - cette année sous forme de « mise en scène sans parole » - , et mises en valeur par des interludes musicaux de la Chorale « Home Sweet Home » et de « Kinima » asbl
Dans son discours de bienvenue autour de la Table de la Solidarité, Joëlle Christen, présidente d’ATD Quart Monde Luxembourg, est d’emblée entrée dans le vif du sujet de cette année : la maltraitance institutionnelle envers les personnes en situations de précarité.
«… Ce phénomène, insidieux et dévastateur, frappe beaucoup d’individus et de familles qui, déjà confrontés à des difficultés économiques, se retrouvent en plus victimes d’un système qui est censé les protéger. La pauvreté n’est pas seulement une question de manque d’argent. C'est une réalité qui affecte la dignité, la santé, et l'accès aux services essentiels. Les personnes en situation de précarité sont souvent confrontées à des traitements inéquitables dans les institutions qui devraient les soutenir. Qu'il s'agisse de services sociaux, de soins de santé, ou d'éducation, les biais institutionnels sont partout. …»
Elle a poursuivi en donnant des exemples dans différents domaines, avant de rappeler
«… que la pauvreté ne définit pas une personne. Chaque individu mérite respect, dignité et opportunités. Nous avons le pouvoir de changer cette réalité. En tant que société, nous devons exiger des politiques qu’ils protègent les plus vulnérables. Cela inclut une formation adéquate des professionnels travaillant dans les institutions, des réformes pour garantir un accès équitable aux services, et une sensibilisation à la question de la stigmatisation. …»
Elle a terminé son mot de bienvenue en expliquant que la lutte contre la maltraitance institutionnelle commence par la reconnaissance de ces injustices et que chaque citoyen peut s’engager à défendre les droits de chacun.
«… Nous devons tous agir. Que ce soit par des actions concrètes, en soutenant des associations, ou simplement en élevant la voix pour ceux qui ne peuvent pas le faire. Ensemble, nous pouvons construire un avenir où chacun, peu importe sa situation, est traité avec la dignité qu'il mérite. …»
Ensuite, des personnes vivant en situation de précarité et des personnes solidaires ont pris la parole pour aller plus loin dans le sujet de la maltraitance institutionnelle, lequel est devenu une des priorités du Mouvement International.
Cette forme de violence existe partout dans le monde, sous des formes différentes. Le plaidoyer français « Stop à la maltraitance institutionnelle » a mis l’accent sur 16 raisons et mécanismes, dont les préjugés et les idées fausses sur les personnes en situation de pauvreté, le manque de moyens humains et financiers pour la mise en œuvre des politiques publiques, la complexité des démarches ou encore la numérisation.
Tout d’abord, les personnes se sont exprimées sur l’accès à toute forme d’aide. Aller demander de l’aide est synonyme de nombreuses contraintes administratives, dont la digitalisation, la pression ressentie et « On n’a pas droit à l’erreur », le besoin d’aide pour demander de l’aide et l’expérience de soumission.
« … Le droit à une aide implique trop souvent une très grande soumission des personnes qui y recourent. Les personnes font alors ce qu’on leur dit de faire et n’osent pas s’affirmer.
Si elles ne vont pas dans le sens qu’on leur impose, elles ont peur qu'il y ait des conséquences négatives, p.ex. de perdre leurs droits, comme des prestations et être retiré de la liste d’attente pour un logement social. …)
Ensuite, la prise de parole s’est axée sur le droit à la santé : mauvaises expériences liées à un manque d’écoute et de disponibilité de la part de professionnels de santé ; expériences de dépendance liées de nouveau à la digitalisation - « avoir besoin de son assistante sociale pour prendre un rendez-vous » - ; expériences injustes vécues autour du paiement comme p.ex. le système du Tiers Payant Social, qui est refusé par certains professionnels.
« J’ai une gestion financière auprès de la Ligue Médico-Sociale. Je ne peux pas payer directement le médecin. Je dois remettre la facture (mémoire d’honoraire) à mon assistante sociale. Les médecins me demandent si j’ai assez d’argent pour payer la consultation avant de m’ausculter. Certains médecins refusent de me recevoir parce que j’ai une gestion financière. »
Parfois, les personnes font aussi des expériences positives.
«… À présent, j’ai trouvé une autre médecin. Elle m’écoute attentivement. Elle est flexible quant au paiement. On ressent la confiance, cela donne du courage. »
Un autre sujet abordé furent les mesures d’insertion professionnelle, qui la plupart du temps sont limitées dans le temps et ne donnent pas de réelles perspectives aux personnes vulnérables.
« Les initiatives de réinsertion fournissent seulement des contrats à durée déterminée de 2 ans maximum. Tu ne peux rien t’offrir : louer un appartement, faire un prêt pour une voiture (pour aller au travail) . Ce qui serait souhaitable c’est qu’après 6 mois, si c’est un bon ouvrier, le patron l’engage. Alors l’entreprise fait les papiers et l’ouvrier est engagé. Et c’est réglé.
Maintenant c’est moi qui dois chercher un patron après les deux ans de bon travail. Mon contrat vient à terme dans 8 mois. L’espoir d’être engagé s’est envolé. Je travaille depuis plus de vingt ans comme jardinier paysagiste, personne ne veut plus de moi. Maintenant j’ai 47 ans et ma santé s’est usée. Je ne peux plus le cacher. Je pourrais former les nouveaux qui ont été engagés. Un travail moins lourd, tout en continuant à faire du bon travail. …
Je suis tendu tout le temps ça a des effets aussi sur ma vie privée. Nous avons décidé de prendre une pause, ma compagne et moi, parce que comme ça nous ne pouvons pas continuer. Ma compagne a déjà vécu cette situation avec son ex-mari et ne veut pas revivre cela encore une fois. Nous continuerons à être de bons parents pour notre fille qui a le droit d’avoir des parents aimants et qui s’occupent bien d’elle. Elle est tout pour nous.
Nous n’avons pas de dettes vis-à-vis de l’état. Si je tombe dans le Revis avant ma retraite, ce sera le cas. Je ne veux pas que ma famille subisse ça. Qu’est-ce que notre fille pensera de ses parents ? …
Ce que je veux est sortir des contrats CDD, c’est fait pour ne pas avancer dans la vie. J’aimerai qu’on reconnaisse mes compétences, continuer à travailler et ne rien devoir à personne. Ce qui m’intéresse est que m’a famille ait à manger tous les jours et que ma femme ait ma pension et pas de problèmes plus tard. »
La 4ième partie de la prise de parole pointait encore les difficultés que des personnes en situation fragile rencontrent pour aller demander de l’aide. Souvent les exigences « avant de se retrouver dans le bureau d’un service social » empêchent les personnes de s’y rendre. Pourquoi n’existent-ils pas de services, qui soutiendraient les personnes de façon informelle en amont des services, p.ex. en les aidant à rassembler tous les documents et certificats nécessaires pour ouvrir un dossier. Ne faudrait-il pas
«… plus remettre de l’humain dans les services publics : p.ex. mettre en place plus d’écoute et un accompagnement de qualité et dans la durée par des professionnels, et ce dès la première prise de contact. Cela devrait être un droit. »
Le témoignage d’une collaboratrice, qui a accompagné un monsieur, qui sans ce soutien préalable aurait tout perdu, son revenu et surtout son logement, a illustré cet aspect de la maltraitance institutionnelle.
Pour terminer, les intervenants ont partagé un témoignage, qui montre que parfois il est possible que cela se passe différemment et que des personnes vulnérables sont aussi demandeurs de soutien. On devrait avoir le droit de vouloir prendre appui sur un intervenant social, lorsqu’on ne se sent pas prêt à tout gérer soi-même. Ce suivi sera alors choisi et non imposé.
« Mon partenaire a eu une assistante sociale. Moi j’ai trouvé cela si important que j’ai voulu la garder quand il est décédé. Je suis contente que je l’ai eue les deux dernières années.
Elle a voulu maintenant céder la gestion. Elle veut prendre sa retraite à un certain moment et elle m’a dit : « Quand je suis partie, alors vous devez vous mettre d’accord avec autrui. » Moi, je suis contente d’elle et je ne veux pas la quitter. Alors notre collaboration a été prolongée.
Mon ami va aussi déménager chez moi. J’ai pris contact avec ses deux assistants.
Ils vont aussi me soutenir quand il y aurait un problème. Cela j’ai maintenant arrangé.
J’ai invité les trois assistants chez moi à prendre un café. J’ai un bon contact avec les trois. J’ai demandé s’ils voudraient collaborer, parce que nous habitons maintenant ensemble.
« Certainement » a été leur réponse. … »